Portrait du mois de janvier: Reza Moradinejad, professeur à la FD
8 janvier 2025
«J’ai un parcours plutôt atypique pour un professeur de droit», déclare d’entrée de jeu Reza Moradinejad, spécialiste du droit des contrats. Si son cheminement vers la carrière universitaire a bien recelé quelques détours, il n’en est que plus riche d’expériences. De Téhéran à Québec, en passant par Grenoble et Montréal, le professeur d’origine iranienne a su relever brillamment tous les défis qui se sont dressés sur sa route.
L’adolescent iranien qui aimait les sciences humaines
Choisir un domaine d’études n’a pas été une mince affaire pour le jeune Reza Moradinejad. Bien que vivement attiré par les sciences humaines, il a dû, au lycée, s’orienter vers les sciences de la vie, une voie jugée «plus sérieuse» par ses parents. Après les avoir convaincus du sérieux de son projet en sciences humaines, il participe aux examens de sélection pour l’université et se classe 19e sur plusieurs centaines de milliers de candidats et candidates en sciences humaines à l’échelle nationale.
Le droit, de plan B à plan A
«Au départ, le droit était un plan B, mais dès ma deuxième année à la Faculté de droit de l’Université de Téhéran, j’ai découvert un amour pour le droit. Toutefois, je ne voulais pas devenir avocat. Mon objectif était de poursuivre mes études», explique-t-il. Inspiré par des professeurs ayant étudié en France, il choisit de poursuivre ses études dans ce pays.
« Le droit iranien est hybride. Inspiré du droit civil français, il emprunte également ses principes au droit islamique et, plus récemment, au monde anglosaxon», indique le professeur Moradinejad, qui a d’ailleurs récemment publié un article au sujet de la genèse du Code civil iranien dans les Mélanges offerts à Sylvio Normand.
En 2004, Reza Moradinejad s’envole donc vers Grenoble pour faire un master en droit privé. «L’année n’a pas été facile. Je connaissais les grands principes du droit civil français, mais pas son application en détail. J’ai donc dû lire pendant des heures et des heures pour essayer de mettre à niveau mes connaissances. En plus, la rédaction d’un mémoire de master a été tout un défi puisque je ne maîtrisais pas aussi bien le français à l’époque», se rappelle-t-il. Finalement, ses efforts ont porté fruit puisqu’il a terminé deuxième de sa promotion.
Le rôle de l’économie en droit du contrat
Pour son doctorat, Reza Moradinejad étudie les liens entre l’économie et la théorie générale du contrat. «Je ne me suis pas facilité la tâche, admet-il. En plus de continuer mon “rattrapage” en droit français, je devais acquérir des connaissances en science économique.» Durant ses années d’études doctorales, il a occupé un poste d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) pendant 2 ans à l’Université Pierre-Mendès-France (Grenoble-II), ce qui lui donne l’occasion d’être responsable de travaux dirigés et de donner des cours.
Pendant ces mêmes années, il décroche une bourse de mobilité, qui le conduit à l’Université de Sherbrooke pendant 6 mois. «J’ai alors découvert le Québec et le droit québécois. Ça m’a plu et ça a ouvert une petite fenêtre dans ma tête. La France, ce n’est pas le monde. Il peut y avoir des possibilités ailleurs. J’ai entrepris des démarches d’immigration au Canada. Je ne faisais qu’ouvrir une porte, sans savoir encore si j’allais vraiment aller dans cette direction», affirme-t-il.
En 2011, Reza Moradinejad dépose sa thèse intitulée Le rôle de l’économie en droit du contrat, pour laquelle il obtient la mention très honorable, avec félicitations du jury. «C’est le moment où ma femme et moi avons dû prendre une décision: restions-nous en France ou déménagions-nous au Québec?», raconte-t-il.
Un saut dans l’inconnu
Arrivé au Québec, Reza Moradinejad aspire à faire l’École du Barreau et demande une reconnaissance d’équivalence. Ses études sont partiellement reconnues et il doit obtenir 42 crédits universitaires au Québec. En un an, il effectue cette scolarité, reçoit le Prix du doyen, et est nommé major de sa promotion à l’Université de Montréal.
Enfin, admis à l’École du Barreau, il est à mi-parcours lorsque survient une offre d’emploi: le gouvernement du Québec engage des juristes pour travailler sur la charte de la laïcité. «Que faire?», se demande-t-il. Continuer l’École du Barreau sans certitude d’emploi ou devenir fonctionnaire et déménager à Québec? Il choisit la deuxième option. Malgré la fin prématurée des travaux sur la charte en raison du changement du gouvernement, il demeure conseiller au Secrétariat à l’accès à l’information et à la réforme des institutions démocratiques au ministère du Conseil exécutif pendant 4 ans. Cet emploi l’initie à la légistique et lui permet de jeter un regard plus global sur le droit.
Le professeur Moradinejad avoue qu’il vivait, cependant, une certaine ambivalence. Certes, son emploi ne manquait pas d’intérêt, mais il craignait tout de même de s’y ennuyer à long terme et avait le sentiment d’une tâche inaccomplie. Ainsi, après avoir obtenu sa permanence d’emploi au gouvernement, il prend un congé de 4 mois pour terminer l’École du Barreau.
C’est alors qu’il s’apprêtait à dénicher un emploi d’avocat qu’un poste de professeur dans notre faculté a été affiché. «Même si ça faisait quelques années que j’avais achevé ma thèse, je me suis dit que je n’avais rien à perdre à déposer ma candidature», rapporte-t-il. Il se replonge alors avec beaucoup de plaisir dans ses recherches en droit du contrat, sa vieille passion, pour se préparer à l’entrevue d’embauche.
Les contrats et les nouvelles technologies de l’information
Engagé par notre faculté en 2017 pour enseigner le droit des obligations, Reza Moradinejad concentre ses recherches sur les interactions entre le droit des contrats et le droit des nouvelles technologies de l’information. Il entame d’abord des recherches sur les contrats intelligents dans le but d’examiner l’impact de ce nouveau phénomène technologique sur la théorie générale du contrat. Il collabore notamment, en tant que chercheur associé, aux travaux de la Chaire de recherche sur les contrats intelligents et la chaîne de blocs — Chambre des notaires du Québec, dont la titulaire est la professeure Charlaine Bouchard.
Même s’il s’est généreusement consacré à la réussite des étudiantes et étudiants à la maîtrise — en tant que directeur des programmes de 2e cycle entre 2022 et 2024 —, le professeur Moradinejad a aussi trouvé le temps, au cours des derniers mois, de jeter les bases d’un nouveau projet de recherche. Intitulé «L’intelligence artificielle sous le prisme du droit des contrats», ce projet a récemment obtenu une subvention de la Chambre des notaires.
«Avec la percée de l’IA, de plus en plus de contrats sont conclus par un système informatique plus ou moins autonome, ce qui n’est pas nécessairement conforme à l’idéale contractuelle qui implique l’accord de volontés de deux personnes. Est-ce un problème qui n’a pas de solution? Non, plusieurs chercheuses et chercheurs ont déjà proposé des façons de remédier au défaut d’absence de consentement exprimé par l’être humain. Par différentes fictions juridiques, on peut supposer le consentement de l’utilisateur à l’ensemble des transactions réalisées par le système d’intelligence artificielle. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’impact de cette pratique contractuelle sur le rôle de la volonté dans la conclusion des contrats et, par conséquent, sa répercussion sur la conception du contrat. Bref, c’est vraiment les conséquences de l’usage de l’IA sur la théorie générale du contrat que je veux cerner», résume succinctement avec enthousiasme le professeur, qui semble bien heureux de son travail actuel et de la tournure de son parcours.
S’est-il enraciné pour de bon dans notre faculté? «Bien sûr, on ne peut prédire l’avenir, mais j’ai rêvé pendant longtemps à la carrière universitaire et j’aime beaucoup Québec et l’Université Laval. Je n’envisage donc pas de partir. Surtout que mes deux enfants sont nés à Québec et que mon aîné est un très grand fan du Rouge et Or!», conclut-il en riant.