
Portrait du mois de février: Natalia Serrano, doctorante
6 février 2025
Quand la passion pour l’apprentissage mène à l’excellence: l’histoire de Natalia Serrano
Née en Colombie de parents ingénieurs et férus de mathématiques, Natalia Serrano a grandi dans la ville de Cali. Une partie de sa famille est descendante de la lignée du peuple Nasa, vivant dans le département du Cauca. Ce peuple avait prospéré au cœur de la zone andine du sud-ouest de la Colombie. C’est après des études en droit en Colombie, en France et au Canada, que son projet de recherche doctorale l'amène aujourd'hui à découvrir le monde et à consacrer sa vie à la justice sociale.
Consciente de la fragilité de la paix, Natalia fait partie de la première génération de son pays à voir la transition de la Colombie vers une période tant souhaitée d'accalmie. C’est la raison pour laquelle Natalia est consciente de son importance: «Je suis la première génération qui n'est pas en guerre en Colombie, parce qu'on a eu un accord de paix en 2016. […] On voyait des choses et je me suis rendu compte quand je suis partie que ce n'était pas normal», révèle notre doctorante.
Valises et bancs d’école
En raison des nombreux voyages de ses parents, la jeune Natalia a dû s’adapter pour suivre leur rythme, ce qui l’a poussée à accélérer son cheminement scolaire dès l’école primaire. Cette détermination l’a conduite à entrer à l’université à seulement 16 ans, avant d’obtenir son barreau à 21 ans, devenant ainsi une avocate dûment diplômée de la prestigieuse Université de Cauca.
Natalia aurait pu fréquenter une université privée en Colombie. Mais grâce à son impressionnante 4e place au classement national des bacheliers aux examens d’État, et avec ses constantes préoccupations sociales en tête, c’est tout naturellement qu’elle s’est dirigée vers une université publique: «C’est une question de conviction. Mes parents sont allés à l’université publique», dit-elle. Sa sœur a également fréquenté une université publique en Medellín en Colombie.
La carrière d’avocate de notre doctorante a débuté à Cali, où elle a travaillé pendant trois ans pour deux cabinets différents, se spécialisant à la fois en droit des entreprises et en droit du travail. La jeune avocate adorait le rythme effréné de ce métier et se passionnait particulièrement pour les dossiers nécessitant de longues heures de recherche. Elle se souvient avec gratitude et reconnaissance de son mentor en droit, avec qui elle passait de longues heures à discuter d’histoire et de philosophie, car celui-ci avait détecté rapidement sa soif insatiable d’en apprendre toujours plus.
Franchir la barrière de la langue
Natalia voulait s’ouvrir au monde et construire son esprit critique. C’est pourquoi elle préféra aller en France pour poursuivre ses études de maîtrise, et ce, avec ses propres économies et une bourse d’études. Elle qui parlait couramment espagnol et anglais… mais ne connaissait pas un seul mot français! C’était bienvenu l’aventure! Avec deux valises pour seuls bagages, et avec tout son courage et sa détermination, Natalia Serrano mit le pied en France en août 2019.
Malgré la pandémie qui reportait à plus tard le début de sa maîtrise, et en plein début de pandémie, Natalia Serrano s’est inscrite à la dernière année du bac en droit français: «Je n'ai pas pu commencer ma maîtrise, mais l'Université, avec mon CV m'a dit d’accord, mais commence par le L3, la dernière année de bac. Et donc, j'ai fait mon L3 en 2020. Et ça s'est bien passé.» Elle se souvient du défi que cela représentait de suivre ses cours en ligne, en français et dans un vocabulaire spécialisé de droit complètement différent du droit colombien. «Vive les Post-its! Il y en avait partout sur les murs!», dit-elle, amusée. Elle a tout de même relevé le défi en se classant parmi les dix meilleures de la cohorte à la fin de l’année!
Elle parvint ainsi à apprendre le français peu à peu en travaillant en même temps pour financer ses études. Puis, une première année d’études pleine de défis débuta pour Natalia au master en droits et relations atlantiques à l’Université de Bordeaux.
Le Québec, un détour inattendu
Après sa première année, Natalia a pris conscience de l’aspect «bidiplôme» de son programme de maîtrise pour lequel elle devait se déplacer au Québec, plus précisément à l’Université Laval. «Donc, je suis venue», dit-elle simplement. «Ici, tout est plus tranquille et vous êtes plus habitués à la multiculturalité. Après je suis repartie en France pour finir ma maîtrise, mais j'avais déjà parlé avec le professeur Richard Ouellet […] pour voir s'il y avait des possibilités de faire un doctorat. Il y a beaucoup plus de soutien pour les étudiants au doctorat, et des opportunités aussi. Donc je suis retournée finir ma maîtrise, passer les examens, et je suis revenue.» Elle est donc repartie pour le Québec, un master en droit des relations transatlantiques en poche, dans un cheminement bidiplômant à l’Université de Bordeaux et à l’Université Laval. Son essai portait sur l’avenir de l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et le Mercosur.
Natalia a ainsi été admise au doctorat à l’Université Laval en automne 2023 où elle développe un projet de recherche axé sur l'inclusion des intérêts des peuples autochtones dans les accords de libre-échange et de protection d'investissement étranger, sous la direction du professeur Richard Ouellet et de la professeure Geneviève Motard. Natalia fait partie de la Chaire de recherche sur les nouveaux enjeux de la mondialisation économique (NEME), ainsi que du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIERA).
La doctorante avoue qu’à l’origine, son chemin n’était pas tracé: «Je n'ai rien planifié. Je voulais juste faire ma maîtrise en France et après voir si je trouve un bon travail. Ou retourner en Colombie.» Mais entretemps elle a fait un constat important: «En Colombie, c’est un endroit difficile. Au Canada, j'adore ça parce que je peux me consacrer à l’académique et réfléchir sur les enjeux actuels».
Aujourd’hui, c’est maintenant, et demain se dessine
Natalia ne sait pas encore ce que l’avenir lui réserve après son doctorat, mais elle fait confiance à la vie: «La vie m’a menée là où je suis aujourd’hui. Je me suis laissé guider par les opportunités et je les ai saisies à chaque fois. Il faut se donner le droit de rêver». Elle rêvait de voyager et de découvrir le monde, et elle a réalisé ce rêve. Elle est reconnaissante envers sa mère de lui avoir inculqué des valeurs essentielles comme croire en ses rêves et ne jamais les abandonner, même face aux défis: «Garde ta liberté, garde tes rêves et... The sky is the limit pour ta carrière», lui a-t-elle conseillé.
Son projet doctoral l’a conduite vers de belles aventures, et l’année 2024 marque un point important dans sa carrière. Natalia a eu l’opportunité de participer à deux expéditions qui l’ont amené au nord du Québec et en Arctique! La première à Mushua Nipi au cœur de la toundra et en territoire ancestral du peuple innu. Aussi, Natalia a eu l’opportunité de se rendre à Nunavik à bord du brise-glace de recherche scientifique NGCC Amundsen.
Ces voyages l’ont reconnectée avec elle-même et avec l’essence de la recherche. L’océan, les aurores boréales, la grandeur de la nature: elle a vu concrètement ce qu’il faut protéger. Ces expériences lui ont permis de se familiariser avec la réalité de ces peuples autochtones et leurs territoires. Elle cherche toujours à établir le lien entre les recherches théoriques et les aspects humains.
Voguer vers tous les horizons de la recherche
La pluridisciplinarité de l’équipage sur le bateau a permis à Natalia Serrano de poser un regard circulaire sur le cycle et les répercussions du droit sur les accords de libre-échange, les multinationales et le danger de briser la chaîne alimentaire: «C’était tellement pluridisciplinaire! J’étais avec des océanographes et moi je leur expliquais comment fonctionnait, par exemple, la libération économique, mais eux, ils m'expliquaient la nécessité de conserver les faunes marines, parce que si on n'a pas ça, on n'a rien. Si on permet, par exemple, une libéralisation des échanges et des investissements sans prendre en compte la protection de l'environnement, ils vont venir exploiter le pétrole en haute mer, ils vont troubler les fonds marins et là, toute la chaîne alimentaire va éclater jusqu'aux populations autochtones. Donc si je ne protège pas ça, je ne protège pas les populations autochtones », constate Natalia Serrano.
Aussi, en novembre 2024, Natalia a été choisie pour faire partie de la délégation officielle de l’Université Laval à la COP29 sur les changements climatiques à Bakou en Azerbaïdjan. Cette incroyable expérience lui a rappelé l’importance de la recherche dans le cadre de la défense internationale des droits des populations autochtones et comment tout est interconnecté, l’environnement, les populations autochtones et le besoin imminent de les protéger et les reconnaître au niveau international.
En conclusion, nous pouvons dire que les préoccupations sociales et planétaires de cette femme de droit à la personnalité attachante ont su captiver notre équipe et c’est pourquoi nous la remercions de nous avoir accordé cette entrevue. Et meilleur succès pour la suite!